Si Leslie Voltaire a triomphé de Conille dans le duel qui les opposait, c’est surtout en raison des maladresses de celui-ci que de la toute-puissance de celui-là. Une prise de pouvoir se prépare en secret. Solliciter publiquement l’appui des forces de maintien de l’ordre, comme l’a fait l’ancien Premier ministre, c’est donner dans une provocation gratuite et franchir une ligne rouge. Il a du coup scellé son sort. Néanmoins, la question demeure. Que pèsent Leslie Voltaire et l’organisation qui l’a délégué au Conseil présidentiel de transition ? S’il y a encore une garde rapprochée lavalassienne, le lavalasisme, faute d’une doctrine cohérente, n’existe plus depuis longtemps. Et lui et son mandant vivent dans une illusion rétrospective. Le torrent bouillonnant de 1990 est aujourd’hui un ruisselet. Henry Kissinger demanda un jour par dérision qui était le Président de l’Europe. Donald Trump aurait pu poser la même question en ce qui concerne Haïti, vu que Voltaire a déclaré le 6 novembre écoulé être prêt à coopérer avec le nouvel élu. L’ambassadeur des États-Unis en Haïti Dennis Hankins y a répondu lors de la conférence de la NAAPH (National Association for the Advancement of Haitian Professionals) : BBQ.
Selon des assistants, ce n’était pas une boutade. Il n’y avait aucune intention railleuse dans cette assertion. Comme nombre d’Haïtiens et d’Haïtiennes, le diplomate ne faisait que constater le rapport des forces sur le terrain. Au moment où une partie de la capitale brûlait le lundi 11 novembre 2024, où les déplacés de Solino, affolés, erraient dans Delmas, où des innocents mouraient par balles, où une peur sourde régnait dans tous les quartiers, le chef de la police et celui de l’armée, au lieu d’être à leur poste de commande respectif, assistaient à l’installation du nouveau Premier ministre. Il y eut ce jour-là de belles envolées tandis que les lignes aériennes desservant Port-au-Prince cessaient de voler, et que les gangs, ayant passé de la parole aux actes, campaient en maîtres dans la cité. En prenant la mesure des périls et le peu de cas concret que semblent en faire les dirigeants qui se complaisent depuis 6 mois dans la verbosité, les esprits, immunisés contre les promesses creuses, touchent le fond du désespoir.
Comme l’a dit Ronald Deshommes de Radio Caraïbes, nous vivons dans une prison à ciel ouvert. Impossible de quitter la capitale par les routes ou par les airs, encore moins par la mer. Pendant ce temps, les conseillers-présidents, enfermés dans leur cloître, négocient, selon des initiés, des sinécures dans le nouveau gouvernement. Ils ont agi comme ces passagers du Titanic qui réarrangeaient les chaises autour d’une table pour dîner tandis que le paquebot coulait. Voient-ils dans leurs déplacements ces visages pétrifiés de misère qui jalonnent leurs parcours ? Entendent-ils ces cris de détresse qui zèbrent les nuits ? Sont-ils conscients que leur fenêtre de tir se ferme de plus en plus ? Il est permis d’en douter. Quelle fatalité nous voue aux calamités qui se succèdent ? Pourquoi des hommes et des femmes qui se singularisaient dans l’opposition se révèlent-ils si creux au pouvoir ? Si la potion amère de l’insécurité continue d’être le breuvage quotidien du peuple haïtien, le moment viendra inévitablement où de nombreuses voix s’élèveront pour vitupérer la Présidence et pour exiger le recours à la Cour de cassation, car les supposés poids lourds propulsés sur la scène politique par l’accord caduc du 3 avril 2024 pour succéder à Ariel Henry seront de plus en plus perçus comme étant des poids morts. Depuis 1986, les deux seules transitions qui ont mené à des élections incontestées furent celles présidées hors de tout soupçon partisan par la juge Ertha Pascal Trouillot et par le juge Boniface Alexandre. À méditer.
Selon: lenouvelliste.com